POLITIQUE DES DROGUES
Conduite sous influence
Le New York Times évoque non sans ironie la nébuleuse qui entoure le repérage de la consommation de cannabis au volant. En effet, si les tests de repérage de l’ébriété au volant sont efficaces, on ne peut pas en dire autant concernant le cannabis. Or à mesure que celui-ci est légalisé dans ses usages médicaux ou récréatifs, il est plus que souhaitable de pouvoir distinguer les risques liés à la consommation de cannabis au volant. Bien que la littérature soit peu abondante sur cette question et que les données recueillies puissent différer parfois sensiblement, on s’accorde sur le fait que la consommation de cannabis majore par deux le risque d’accident au volant. Ce qui constituerait un risque plus faible que la consommation d’alcool qui multiplierait par 20 le risque d’accident chez les jeunes conducteurs âgés de 20 ans. Cependant les conditions de consommation ne sont pas les mêmes : si beaucoup d’individus consomment de l’alcool dans des bars, loin de leur maison, consommer du cannabis a lieu plutôt « chez soi ».
En termes de réglementations, seulement six Etats ont défini une « limite légale » de concentration de THC dans le sang. Dans les états de Washington et du Colorado où l’usage récréatif du cannabis a été légalisé, la limite est portée à 5 nanogrammes par millilitre de sang. Or cette valeur est perçue comme trop haute, notamment en Europe. Devant la complexité d’un tel débat, les experts proposent plutôt de concentrer les efforts sur la prévention de la consommation combinée d’alcool et de cannabis au volant. La consommation « domestique » de cannabis devant rester la règle, ils préconisent en outre de bannir toute forme de coffee shops (pot bars) qui encourageraient une consommation de cannabis hors de chez soi.
Source : The New York Times, « Driving under the influence, of Marijuana », 17 février 2014
VU D'AILLEURS
Du naloxone en spray pour les usagers d’héroïne
D’après un article paru dans le Guardian, la Norvège a décidé de pourvoir les usagers de drogues en naloxone, un antagoniste spécifique des opiacés, sous la forme de spray nasal. L’avantage de ce format réside dans sa facilité d’utilisation par rapport au format injectable et peut être administré par un tiers sans connaissances médicales spécifiques préalables. De plus, ce format spray permet également de limiter les risques de contamination au VIH ou aux hépatites B ou C. La Norvège a connu, en 2011, 262 décès liés à la drogue : 207 associés à la consommation d’opiacés dont 74 à la consommation d’héroïne. Cette solution laisserait-elle envisager une politique de réduction des risques ? C’est ce que prétend le Ministre de la santé bien que ses contempteurs, représentants d’un pays plutôt conservateur, n’y aient vu qu’une voie vers une politique plus libérale en matière de drogues. Le naloxone sera distribué aux usagers et mis à disposition dans des espaces d’accueil et certains hôtels.
Source : The Guardian, « Norway to trial nasal spray antidote to heroin overdose », 16 février 2014
La cigarette fait un carton dans les pays en développement
Courrier International dresse un triste panorama de la présence du tabac en Afrique et s’inquiète de son influence auprès des jeunes populations. A défaut de pouvoir continuer à s’imposer à leur guise en Occident alors que les réglementations tendent à se raffermir, l’industrie du tabac semble avoir trouvé une nouvelle cible dans la jeunesse africaine. Plusieurs stratégies marketing agressives ont été mises en place pour attirer cette jeune population dans des pays où les législations demeurent permissives à l’égard du tabac, à quelques exceptions près comme l’Afrique du Sud où le tabac est interdit dans les lieux publics ainsi que la publicité, de même au Kenya en Namibie et au Ghana. En Guinée, des « cigarettes girls » sillonnent les boîtes de nuit, les épiceries et les lieux publics pour inciter les jeunes à découvrir de nouvelles marques. Les kiddie packs qui permettent d’acheter des cigarettes à l’unité entretiennent leur accessibilité à un large public. Ainsi 68,2 % des jeunes de 13 à 15 ans achetaient des cigarettes dans les magasins en Afrique d’après le rapport 2013 de l’OMS.
Source : Courrier international n° 1216 20 février 2014, « Santé. Les cigarettiers à l’assaut des jeunes. » Extrait d’un article paru dans Think Africa press (Londres)
Auteur : Ravi Jaipol
>> Lire aussi l’analyse des effets de la production de tabac en termes écologiques au Zimbabwe par Ian Scoones, professeur honoraire au sein de l’Institute of Development Studies de l’Université du Sussex, et coordinateur du Future Agricultures Consortium : « Going Up in Smoke: The Environmental Costs of Zimbabwe's Tobacco Boom »
PREVENTION DES RISQUES
Cocaïne et accident cérébral ischémique : une association inattendue
La consommation de cocaïne pourrait être liée à la survenue d’un accident vasculaire cérébral ischémique chez le jeune adulte, d’après une communication présentée lors de l’American Stroke Association’s International Stroke Conference 2014, le 12 février dernier. Cette étude cas-témoin réalisée auprès d’un échantillon de 1 101 jeunes adultes entre 15 et 49 ans victimes d’AVC ischémique (AVCI) comparés à 1,154 témoins de mêmes âges montre qu’avoir consommé de la cocaïne de façon aiguë, dans les 24 heures précédant l’accident était fortement associé au risque de survenue d’un AVCI, et ce plus que le diabète, le tabac ou l’hypertension artérielle, d’où l’intérêt d’un repérage systématique des consommations de substances psychoactives dès l’hospitalisation post-AVC.
Source : « Cocaine greatly increases ischemic stroke risk in young adults within 24 hours of use », American Heart Association’s Stroke Conference 2014
Auteurs : Yu-Ching Cheng, Ph.D, Saad A. Qadwai, M.D.; Kathleen A. Ryan, M.P.H.; John W. Cole, M.D., M.S.; and Steven J. Kittner, M.D., M.P.H.
Neurotoxicité du paradichlorobenzène
Une étude parue dans la revue Therapeutic Advances in Neurological Disorders attire l’attention sur la toxicité du paradichlorobenzène, une substance chimique cristallisée que l’on retrouve dans certains insecticides (« boules à mites ») ou déodorants. En cas d’exposition, cette toxicité peut se manifester par une atteinte du foie, des reins, de la peau, des poumons, ou encore du système nerveux central entraînant leuco-encéphalopathies et symptômes neurologiques. Ses propriétés pharmacologiques et toxicologiques révèlent que la consommation du paradichlorobenzène pourrait entraîner des lésions des tissus du système nerveux central et favoriser un déclin neurologique. Bien qu’il y ait très peu de données de prévalence de consommation de cette substance à des fins intentionnelles, on ne doit pas, selon les auteurs, sous-estimer son usage récréatif chez les jeunes, celui-ci allant vraisemblablement s’accroitre du fait de la généralisation de l’utilisation du paradichlorobenzène à des fins domestiques et dans l’industrie. Des pistes diagnostiques et de prise en charge sont alors esquissées.
Source : Therapeutic Advances in Neurological Disorders, "Para-dichlorobenzene toxicity – A review of potential neurotoxic manifestations", 24 février 2014
Auteurs : Divyanshu Dubey, Vibhash Sharma, Steven E. Pass, Anshudha Sawhney, Olaf Stuve
EPIDEMIO
Les nouvelles substances psychoactives responsables de nombreux décès en Grande-Bretagne
Meow, meow, Benzo Fury, PMA figurent aujourd’hui parmi celles que l’on appelle les nouvelles substances psychoactives (Novel Psychoactive Substance) responsables d’un nombre de décès croissant en Grande Bretagne : 10 décès en 2009 contre 68 décès en 2012 d’après le rapport du National Programme on Substance Abuse Deaths (NPSAD) coordonné par l’Université St George de Londres. La présence de ces nouvelles substances souvent associées dans les tests de toxicologie post-mortem a augmenté de 800% en trois ans (12 cas en 2009 contre 97 en 2012). Les auteurs du rapport se disent préoccupés du développement et de l’accessibilité de ces produits dont les effets sur l’humain sont encore mal connus et qui pour certains échappent à la législation. L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies évaluait à soixante-douze le nombre de nouvelles substances apparues rien qu’en 2012.
Source : Saint George University of London, Deaths reports reflects growing impact of « legal highs », 12 février 2014
>> Consulter le rapport du National Programme on Substance Abuse Deaths (NPSAD)
Sevrage tabagique et santé mentale
La consommation de tabac est souvent perçue par les usagers comme leur apportant un certain bien-être psychologique. Or il existe au contraire une forte association entre tabagisme et troubles de la santé mentale. De plus, les personnes fumeuses souffrant de troubles de la santé mentale sont plus enclines à fumer de façon intensive et à développer une dépendance.
Une méta-analyse systématique des données issues de 26 études observationnelles longitudinales comparatives réalisées auprès d’individus dont la santé mentale avait été évaluée par questionnaires avant et au moins 6 semaines après le sevrage tabagique, met en évidence les bénéfices de la cessation du tabac sur la santé mentale de ces individus, dont une amélioration significative de la qualité de leur vie psychologique (de 0.09 à 0.36), de leur humeur « positive affects » (de 0.09 à 0.71) et une réduction des symptômes de stress (de −0.40 à −0.13), d’anxiété (de −0.70 to −0.03) et de dépression (de −0.37 à −0.12), seules ou combinées, par rapport aux individus qui continuent de consommer du tabac.
Source : British Medical Journal, « Change in mental health after smoking cessation: systematic review and meta-analysis », 13 février 2014
BMJ 2014;348:g1151
Auteurs : Gemma Taylor, doctoral researcher, Ann McNeill, professor of tobacco addiction, Alan Girling, reader in medical statistics, Amanda Farley, lecturer in epidemiology, Nicola Lindson-Hawley, research fellow, Paul Aveyard, professor of behavioural medicine
FONDAMENTAL
Cartographie cérébrale de la prise de risque chez les femmes alcoolodépendantes
Une étude parue dans la revue Addiction Biology, réalisée auprès d’un échantillon de 15 femmes alcoolo-dépendantes, s’est intéressée aux mécanismes neuronaux impliqués lors de la décision de consommer de l’alcool malgré les risques associés, comportement qui caractérise l’alcoolo-dépendance. Le recours à l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique a permis d’identifier une sorte de confusion : trois circuits neuronaux étaient convoqués simultanément lors de la prise de risques, à savoir le circuit de la récompense, le circuit du contrôle cognitif et le réseau neuronal dit « mode par défaut » tandis que les femmes du groupe contrôle activaient quant à elle plus spécifiquement ce dernier « mode par défaut ». Cette confusion chez les femmes alcoolo-dépendantes et la difficulté à passer d’un réseau à l’autre seraient à l’origine du choix à haut risque de consommer de l’alcool. Par ailleurs, les différences les plus marquées, dans ce contexte, entre les femmes alcoolo-dépendantes et la population contrôle ayant été observées au niveau du cortex insulaire, les auteurs y pressentent la clef de ce mécanisme voire une nouvelle cible thérapeutique.
Source : Addiction Biology, « Neural mechanisms of high-risk decisions-to-drink in alcohol-dependent women », 23 décembre 2013
Auteurs : Arcurio LR, Finn PR, James TW.
DOI : 10.1111/adb.12121
Consommation excessive d’alcool et démyélinisation
Une étude sur des modèles animaux parue dans la revue Alcohol, alcoholism apporte de nouvelles preuves des effets délétères de la consommation occasionnelle excessive d’alcool ou « binge-drinking » à l’adolescence. Un phénomène de neuro-inflammation et de démyélinisation sont ici invoqués comme la résultante d’une consommation excessive d’éthanol chez le rat adolescent. Ces effets viennent confirmer la sensibilité toute particulière du cerveau adolescent aux effets de l’éthanol. Par ailleurs, les dysfonctionnements observés au niveau du cortex préfrontal induits par l’éthanol, pourraient expliquer, par extrapolation, cette propension à l’impulsivité sans discernement associée à la consommation occasionnelle excessive d’alcool, la région du cortex préfrontal participant à la prise de décision et à l’évaluation des alternatives.
Source : Alcohol, Alcoholism, « Neuroimmune Activation and Myelin Changes in Adolescent Rats Exposed to High-Dose Alcohol and Associated Cognitive Dysfunction: A Review with Reference to Human Adolescent Drinking », mars/avril 2014 n° 49 (2): 187-192
Auteurs : María Pascual, Antoni Pla, José Miñarro, Consuelo Guerri
>> A noter : la revue Alcohol, Alcoholism n°49 propose un dossier sur les dommages cérébraux liés à la consommation d’alcool à l’adolescence
TRIBUNE
Des raisons de croire en l’e-cigarette
Une tribune de Sally Satel, psychiatre spécialisée dans l’addictologie et publiée par le Washington Post propose un état des lieux des connaissances sur l’hypothétique toxicité de l’e-cigarette. Elle évoque également les peurs soulevées par l’e-cigarette chez ceux qui craignent notamment une généralisation de son usage. A rebours de ces craintes, elle soutient que l’e-cigarette est peut-être exactement ce dont les Etats-Unis avaient besoin pour atteindre leur objectif de 12 % de fumeurs en 2020 contre les 18 % actuels. Bien que des recherches sur ses effets à long terme soient évidemment souhaitables, l’auteure insiste sur la dangerosité moindre de l’e-cigarette par rapport à la cigarette. A titre d’exemple, la présence de nitrosamines connues comme étant carcinogènes ne peut constituer un argument recevable : sa concentration est de 500 à 1400 fois moins importante que dans la cigarette. De la même manière, le plomb, le nickel ou le cadmium qu’on a pu identifier, y sont présents en quantités non toxiques. Une étude parue dans le Lancet en novembre dernier évalue l’efficacité de l’e-cigarette comme similaire à l’efficacité des substituts nicotiniques dans une perspective de sevrage tabagique. Le CDC qui craignait que l’e-cigarette n’exerce un pouvoir d’attraction auprès du public jeune, suite aux résultats d’une enquête selon laquelle 1,78 millions de jeunes scolarisés en collège et en lycée avaient déjà essayé l’e-cigarette dont parmi eux 1/5 qui n’avait jamais consommé de tabac, a relevé simultanément un pourcentage très faible d’usagers réguliers d’e-cigarette au sein de cette population. Quoi qu’il en soit, s’il est évidemment impérieux de légiférer sur la promotion de l’e-cigarette auprès des jeunes et de bannir toute forme de marketing incitatif, encourager son usage chez les fumeurs devrait constituer, d’après l’auteure, une priorité de santé publique.
Source : Washington Post, « How e-cigarettes could save lives »
Auteure : Sally Satel
IMAGINAIRE DES DROGUES
Littérature « junkie »
Le site internet Buzzfeed propose, dans un article intitulé « The 20 Of The Junkiest Books About Drugs You’ll Ever Read » une sélection d’ouvrages écrits par des personnes ayant expérimenté les effets des drogues et choisi d’incarner cette expérience à travers la littérature.
De l’ouvrage Low Down d’Amy Jo Albany, ayant vécu depuis l’enfance avec son père à l’hôtel St Francis connu comme un lieu mythique accueillant entre autre usagers de drogues et prostituées, au Speed de William Burroughs, en passant par Straight Life d’Art Pepper, saxophoniste héroïnomane, perçu comme l'un des plus grands représentants du Jazz West Coast, ou à Dope a novel de Sarah Gran qui explore les entrailles du New-York junky des années 50, ces ouvrages constituent des documents précieux dès lors que l’on s’intéresse à l’image véhiculée par les « junkies » dans l’espace public, aux effets des drogues, au poids de la dépendance, à la prise de risques et à ses conditions.
Source : Buzzfeed 28 janvier 2014, « The 20 Of The Junkiest Books About Drugs You’ll Ever Read »
Auteur : Jerry Stahl
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