POLITIQUE DES DROGUES
Une législation stupéfiante
Voici un paradoxe et non des moindres : la loi en vigueur à Washington DC permet de posséder du cannabis, d’en faire pousser des plants et de partager son butin, mais pas d’en acheter en toute légalité. Une incohérence qui a de quoi surprendre mais qui n’étouffe pas les ardeurs des ganjapreneurs. Et tandis que la loi joue les timorées, le marché du home made prend les devants et promet des opportunités de marketing réjouissantes (pâtisserie, cours de cuisine…). C’est ce que relate, non sans ironie, un article paru dans le Time.
Source : Alex Altman, "D.C.’s weird new free weed economy", Time, Feb. 26, 2015
Weedipedia
Les adolescents et leurs familles vivant dans l’Etat de Washington où la consommation récréative de cannabis est autorisée par la loi depuis novembre 2012 seraient très peu au fait des mesures précises qui constituent cette dernière et notamment de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas. C’est du moins ce que révèle une enquête réalisée auprès de 115 familles à faibles revenus, en septembre 2013, soit plus de six mois après l’entrée en vigueur de la loi. Interpellés par ce défaut de connaissance et parce que l’une des conséquences non désirées de cette législation pourrait être une augmentation de la consommation de cannabis à l’adolescence, les auteurs de cette enquête recommandent la mise en place, à des fins préventives, de compagnes d’information à l’attention des familles, à la hauteur de cette (r)évolution majeure.
Source : W. A. Mason, Koren Hanson, Charles B. Fleming, Jay L. Ringle, and Kevin P. Haggerty, "Washington State recreational marijuana legalization: parent and adolescent perceptions, knowledge, and discussions in a sample of low-income families", 11 février 2015.
doi:10.3109/10826084.2014.952447
Peu d’incidence de l’usage de cannabis sur les accidents de la route
Le Groupement romand d’étude des addictions donne écho aux conclusions de deux études récentes réalisées par la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) qui constatent une augmentation importante de l’usage de cannabis au volant tandis que la conduite en état d’ébriété aurait chuté aux Etats-Unis. Puisque d’autres variables comme l’âge, avec une population jeune plus exposée aux risques d’accidents de la route, ou encore l’origine ethnique et une prise d’alcool sont le plus souvent associées à l’usage de cannabis au volant, on ne peut en déduire un sur-risque d’accidents lié à l’usage de cannabis "per se".
Source : GREA, "Le cannabis n'influencerait que peu le risque d'accidents routiers", 10 mars 2015
>> Consulter le communiqué du NHTS
VU D'AILLEURS
Or vert et esclavage moderne
En Angleterre, les travailleurs clandestins du cannabis sont des enfants venus de Roumanie, d’Albanie ou encore du Vietnam. Ils connaissent des conditions de vie d’esclave sur des sites de production illégaux jusqu’à ce que leur activité soit découverte par les polices locales, si elle l’est un jour. Invectivés et incarcérés comme des criminels, ils sont reconduits dans leur pays après avoir purgé leur peine et s’y retrouvent le plus souvent sans ressources, proies faciles à un nouveau trafic ou pour être enrôlés comme trafiquants d’hommes. L’agence de presse Reuters leur consacre un article, dans lequel affleure l’indignation des associations de défense des droits de l’homme, dénonçant l’incapacité des autorités britanniques à juguler ces relents d’esclavagisme moderne.
Source : Katie Nguyen, "Abused, imprisoned Vietnamese slave away in UK's cannabis farms", Reuters, 25 février 2015
PREVENTION DES RISQUES
Les ruses de Narcisse
Pour aller plus avant dans la compréhension de l’association entre consommation d’alcool et comportements sexuels à risque, une nouvelle étude s’est demandée si et dans quelle mesure les comportements des individus à l’égard de l’alcool pouvaient influencer leur pouvoir de séduction à l’égard des autres. En soumettant à des individus des photographies montrant la même personne lorsqu’elle avait consommé de l’alcool et lorsqu’elle était sobre, les auteurs se sont aperçus que les visages des personnes lorsqu’elle avait consommé des volumes d’alcool modérés (équivalents à 250 ml de vin pour un adulte de 70 kg) plaisaient davantage que ceux des mêmes personnes n’ayant pas consommé d’alcool, sans qu’une telle observation ait pu être effectuée à propos des visages des personnes ayant consommé des quantités d’alcool plus importantes (équivalentes à 500 ml pour un adulte de 70 kg)*. Outre l’originalité de cette étude qui montre que si l’on est perçu comme plus beau lorsque l’on a bu, le charme est vite rompu au-delà d’un certain seuil, elle suggère également que l’association entre consommation d’alcool et conduites sexuelles à risque pourrait être plus complexe qu’il n’y parait et non pas unidirectionnelle, les études ayant plutôt observé jusqu’à présent une sur-propension des personnes en état d’ébriété à trouver les autres plus séduisants.
*attention à la présence d’une erreur à la fin de la partie résultats de l’abstract, "high dose" doit remplacer "low dose".
Source : Jana Van Den Abbeele , Ian S. Penton-Voak , Angela S. Attwood , Ian D. Stephen , Marcus R. Munafò, "Increased facial attractiveness following moderate, but not high, alcohol consumption", Alcohol and alcoholism, 25 février 2015
Déterminants sociaux de la consommation d’alcool en contexte festif
Le phénomène d’alcoolisation excessive est fréquent au sein des jeunes populations en Europe et en Amérique du nord. L’influence des pairs sur ces pratiques à risque continue d’être documentée.
Une étude préliminaire menée en Suisse auprès d’un échantillon de 183 jeunes adultes (âge moyen : 23,1 ans) s’est portée sur l’incidence du nombre d’amis présents in situ ("number of friends present") sur ces comportements de consommations d’alcool, au fil de la soirée et sur un éventuel effet de genre associé. 7 250 auto-questionnaires sur un total de 1 441 soirées festives ont pu être recueillis et traités. Ils mettent en évidence la valeur explicative de cette variable, suggérant un effet d’entraînement du groupe : plus le nombre d’amis présents augmente lors de la soirée plus le volume d’alcool consommé va croissant (b=0.070 ; valeur P<0.001). Cet impact de la taille du groupe serait constant, quel que soit le soir de la semaine durant lequel la soirée a lieu (dans l’étude, aussi bien les jeudis que les vendredis et samedis soirs) et plus tangible statiquement chez les hommes que chez les femmes dans cette classe d’âge (b=0.027 ; valeur P<0.05).
Source : Johannes Thrul, Emmanuel Kuntsche, "The impact of friends on young adults’ drinking over the course of the evening - an event-level analysis", Addiction, 3 mars 2015
DOI: 10.1111/add.12862
EPIDEMIOLOGIE
Snus et alcoolo-dépendance en Suède
Une étude prospective réalisée sur une cohorte suédoise constituée de 21 037 individus (9416 hommes et 11 621 femmes) a mis à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle la consommation de tabac humide sans combustion (snus) favoriserait le risque de développer une alcoolo-dépendance (AD). Après avoir analysé une première fois les données initiales relatives aux habitudes de vie et déterminants de santé recueillies par questionnaires entre 1991 et 1996, celles-ci ont été réévaluées à 10 ans (pour les moins de 60 ans) avec une prise en compte des marqueurs de risques cardiovasculaires et évolutions notables en termes de comportements à l’égard du tabac et de l’alcool. Parmi les principaux résultats observés, chez les usagers de snus l’incidence cumulative de survenue d’une AD était de 7,8 % à 10 ans contre 3 % pour les non usagers, le risque relatif de développer une AD pour les hommes et les femmes usagers Vs non usagers étant porté à 1.8 pour les hommes [IC : 1.5, 2.2], 2.9 pour les femmes [IC : 2.0, 4.3] et de 2.6 [IC 2.3, 3.1], les deux genres confondus. Ce sur-risque serait par ailleurs indépendant du statut socio-économique des individus et de leur statut tabagique (tabac avec combustion) et associé au volume de snus consommé.
Source : Norberg M, Malmberg G, Ng N, Broström G., "Use of moist smokeless tobacco (snus) and the risk of development of alcohol dependence: A cohort study in a middle-aged population in Sweden.", Drug and alcohol dependance, 9 février 2015
pii: S0376-8716(15)00077-0
doi: 10.1016/j.drugalcdep.2015.01.042
Pas d’effets sanitaires bénéfiques avérés d’une consommation d’alcool modérée
A rebours d’une idée largement répandue, y compris dans la littérature scientifique, la consommation d’alcool modérée n’aurait pas d’effets protecteurs avérés sur la santé des individus. C’est ce que tend à démontrer une méta-analyse parue dans le British Medical Journal issue des données de la Health Survey for England 1998-2008 stratifiées par sexe et par âge et des tables de mortalité du pays. A l’origine de cette fausse association entre consommation d’alcool modérée et mortalité moindre : des biais de sélection des groupes contrôle et facteurs confondants mal mesurés.
Source : "All cause mortality and the case for age specific alcohol consumption guidelines: pooled analyses of up to 10 population based cohorts", British Medical Journal , 10 février 2015
BMJ 2015; 350 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.h384
Augmentation sans précédent des décès liés à la prescription d’opioïdes aux USA
Un nouveau rapport de l’Urban Institute, issu de l’analyse des données statistiques du Center for disease control (CDC) aux Etats-Unis, fait état d’une tendance inattendue et préoccupante: l’augmentation spectaculaire, de 3,3 à 15,9 décès /100 000, du taux de mortalité attribuable à une overdose ou intoxication médicamenteuse chez les femmes âgées entre 15 et 54 ans de type caucasien. A titre indicatif, le CDC estimait à 6 600, rien qu’en 2010, le nombre de décès attribuables à une overdose d’antalgiques chez les femmes de 15 à 54 ans, toute ethnie confondue, autrement dit le quintuple de ce qu’il était en 1999.
Source : Nan Marie Astone, Steven Martin, and Laudan Aron, "Death rates for US women ages 15 to 54", Urban Institute, March 2015
CIGARETTE ELECTRONIQUE
L’e-cig ou la vie ?
Derek Yach, militant de longue date dans la lutte contre le tabagisme, à la tête il y a peu de la commission de lutte contre le tabac de l’OMS, publie à son tour un long plaidoyer sur la cigarette électronique, appelant les pouvoirs publics à faire acte de bonne foi. Le besoin de messages clairs et sans ambiguïté sur les effets sanitaires de la cigarette électronique et sa sécurité d’utilisation est pressant. Le Royal college of physicians décrivait en mars 2014 la cigarette électronique comme une alternative à moindre risque. Les études britanniques et américaines sur la cigarette électronique suggèrent que plus l’usage de la cigarette électronique se développe plus le tabagisme conventionnel décroit. On ne peut rester indifférents à l’égard des quelques 2,1 millions de britanniques qui utilisent la cigarette électronique ni non plus leur perception de celle-ci comme un outil de contrôle de leur consommation. Si les autorités sanitaires s’emparaient de ces messages en faveur de la cigarette électronique, l’opinion évoluerait favorablement. Cette évolution pourrait créer plus d’adhésion aux campagnes globales de réduction des risques liés au tabac et acculerait l’industrie du tabac à produire des dispositifs moins dangereux que le tabac conventionnel. Les estimations portent aujourd’hui à 1 milliard le nombre de décès liés au tabac d’ici 2100. Si elle parvenait à faire consensus, la cigarette électronique constituerait une chance de défier ces chiffres.
Source : Derek Yach, "E-cigarettes save life", The Spectator, 21 février 2015
Pour aller plus loin : à l’ occasion des 10 ans de la convention cadre de lutte contre le tabac de l’OMS, le Lancet publie une série d’articles sur le tabac dans le monde.
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